Cinquante-quatrième jour – Le taulier!

Publié le par Lulu de la Lune

Nous avons été très occupés ces deux derniers jours à préparer la Lune pour accueillir le propriétaire de la Terre qui doit revenir chercher son bien au Mont-de-piété de la Mer de la Tranquillité.

Parce que après tout, nous sommes l'avant-poste de la Terre et puis, après avoir fait un conciliabule en chuchotant sous le lampadaire dans la serre (on n'est jamais trop prudent), nous avons conclu qu'il faudrait retenir le taulier le plus longtemps possible ici, sur la Lune, voire lui faire changer d'avis et qu'il reparte avec autre chose, je ne sais pas moi, on trouvera bien parmi les objets laissés au clou par d'autres aliènes.

Ma Tante n'a pas été très loquace sur son client, mais il faut dire que ça fait une paye qu'il ne l'a pas vu, et qu'en quelques millions d'années, une personne peut changer un peu, c'est vrai. En plus, par paresse, me semble-t-il (la vie dans la Mer de la Tranquillité était très tranquille jusqu'à notre arrivée), Ma Tante n'a pas informatisé son administration et c'est vraiment le bazar dans ses fiches en papier cartonné sur lesquelles il annote les informations au crayon depuis toutes ces années.

Et puis, cet après-midi, alors qu'on regardait Queimada de Pontecorvo sur une nouvelle télé qu'avait apporté Ma Tante en remplacement de celle qu'il avait cassé (cette fois-ci en forme de crêpe suzette qu'il fallait arroser tout le temps d'alcool de poire – vraiment il aurait pu en apporter une autre plus pratique - voir ICI), on toqua (à nouveau) à la porte.

Je n'attendais personne : le facteur, qui depuis la privatisation partielle de la Poste, n'a plus de frein à sa mobylette (terciarisation de l'entretien oblige), jette tout en passant sur le paillasson ; quant à M. Lanclous (voir le jour dernier), je l'avais envoyé de l'autre côté de la Voie Lactée ; et par prudence, j'avais enlevé le panneau Appartement-témoin sur le toit du pavillon pour ne pas attirer d'autres possibles acquéreurs pour la Terre et ne pas ajouter à la confusion.

C'est dire si je tremblais en ouvrant la porte.

Et je me trouvai nez à nez avec... le sosie de Carla ! notre camarade-syndicaliste vendeur de parapluies ! Avec les cheveux blancs et un peu plus de rides, mais son vrai sosie ! L'homme devant moi avait le même bonnet (pas de marin ! pas de marin !), le même vieux manteau, les mêmes godillots et la même besace (sur laquelle était cousu en rouge vif Articles de farces et attrapes) !

Carla Bis demanda à voir M. Désiré Yvonne, du Mont-de-piété de la Mer de la Tranquillité, car celui-ci avait laissé un panneau accroché à la petite cloche sur la porte qui indiquait qu'il était chez moi.

Je restai sans voix. Ce camelot vendeur de farces et attrapes était propriétaire de notre planète ? (Notez que je dis ça sans préjugé : contrairement à ce que l'on pourrait penser, je n'ai rien contre les farces et attrapes) Quand même, j'invitai le visiteur à rentrer, pour retrouver dans le salon notre voisin le dragon marin Yvonne alias Ma Tante, et (son descendant?) notre camarade Carla.

Ce furent des retrouvailles très émouvantes entre Yvonne, Ma Tante, et en Général tout le monde. Évidemment, le plus troublé dans l'affaire, ce fut Carla, qui reconnut chez le vieux Carla Bis les traits familiers de sa lignée, et en particulier ceux de sa cousine Noémie... Noémie.... Il en eut les larmes aux yeux.

Effectivement, son vénérable ancêtre était venu récupérer la Terre, qui commençait à lui manquer dans sa panoplie de farces et attrapes (!!!!!). Elle faisait rire à des années-lumières à la ronde, et le fait qu'elle soit dégoûtante et au bord du suicide (sans parler des abeilles qui mourraient par milliards) enchanterait les petits enfants de la galaxie. Au début, il avait bien pensé la nettoyer un peu («au karscher ?» a demandé l'aliène Blingue-Blingue), mais finalement, il trouvait que, telle quelle, la Terre était un magnifique repoussoir et pouvait servir de punching-ball avec grand succès n'importe où où il irait. Un peu comme le méchant qu'on bat dans Guignol si vous voulez mieux (vous vous souvenez de l'époque on tout le monde finissait ses phrases par « si vous voulez mieux ? » Aaah la Terre... Elle a beau tomber en morceaux et quelquefois me faire rire tout seul, elle me manque quand même un peu...)

Nous, ça nous faisait pas rire du tout, parce que, comme je l'ai déjà écrit, il faut savoir trier le bon grain de l'ivraie et d'ailleurs le faire assez vite car bientôt, il n'y aura peut-être même plus de grains du tout.

Bon, après ces réflexions d'un optimisme pétulant, quand même on suggéra à Carla de suggérer à son aïeul de reprendre du clou de Ma Tante autre chose que la Terre, ou par exemple, de n'en prendre que des parties, comme le Territoire de la Grande Puissance Nortuaire et ceux, aussi insignifiants soient-ils, de son personnel de maison. Ça, c'était une bonne idée pour un punching-ball !

D'ailleurs, Yvonne Ma Tante sortit une pelle à tarte qui ferait très bien l'affaire pour découper les morceaux.

Mais Carla Bis ne voulut rien savoir : il était revenu prendre SA Terre, et il la remporterait, un point c'est tout ! Et il sortit son portefeuille...

… qu'il ne trouva pas ! Il chercha partout, dans ses poches, dans sa besace, dans son bonnet (pas de marin! pas de marin!), aucun portefeuille à l'horizon ! Il ne pouvait pas reprendre la Terre puisqu'il ne pouvait pas rembourser son gage !

Mais Ma Tante, et Carla, et Ferdinando aussi (mais pas la vache Angela, qui regardait les champs brûler à la télé et Marlon Brando qu'elle arrosait d'alcool de poire) me regardaient fixement...

Vraiment, je me demande bien pourquoi...

Bon, la suite, à demain,

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